C’est pourtant une « grande » région ovine, le Roussillon : deux cent soixante dix mille têtes au début du XIX° (moins de vingt mille aujourd’hui) ; la Cerdagne et le Vallespir sont alors couverts de troupeaux (à peu près aucun aujourd’hui) …

 

Surtout, exception faite des rameaux montagnards, le Roussillon est le pays des laines fines.

Historiquement, son annexion à la couronne d’Espagne lui a permis d’accéder aux précieux mérinos dès l’introduction de ce dernier par Don Pedro IV de Castille au XIV° siècle ... Et ce n’est pas un hasard si le chapitre « des races » du Traité des Bêtes à Laine de Carlier (1770) s’ouvre sur une description minutieuse du Roussillon, en décrivant minutieusement sur dix-huit pages les particularités et usages locaux. Les animaux apparaissent très hétérogènes côté couleurs : ainsi le Vallespir et la Cerdagne apprécient les toisons noires et grises que rejettent les Aspres … Les brebis du Rivéral et de la Salanque sont plus lourdes, mais vite touchées par la « pourriture » (grande douve essentiellement ?) :  « le mouton de Salanque ne passe guère l’âge de cinq ans sans dépérir. Celui des Aspres et de la plaine vit trois ans de plus & demeure sain jusqu’à huit ans & au-delà ». Et encore : « tous jusqu’aux femelles ont le défaut de porter des cornes ».

 

 

Heureusement, il y a la transhumance andorrane. On l’ignore souvent, mais depuis longtemps des bergers andorrans pratiquent la transhumance inverse vers le Languedoc viticole : pâturage hivernal contre fumier et autres dealsplus ou moins confidentiels. Au cours des années trente, leur nombre augmente sensiblement – de 8 000 à 18 000 brebis … officiellement – pour la satisfaction des viticulteurs, et au grand dam des éleveurs locaux : les nouveaux arrivants offrent probablement des conditions plus avantageuses. Les photographies de cette époque montrent des brebis blanches et plutôt jarreuses, avec parfois quelques têtes mouchetées évoquant un peu la Ripollese.

 

Or, dans un passé proche, les « derniers » transhumants andorrans (peu sont encore en activité) avaient largement adopté la brebis rouge ; celle-ci était parfois baptisée « brebis des vignes ». Ces troupeaux s’infiltrent dans les Corbières, le narbonnais, le biterrois et mêmeau-delà : Pierre Calvo, récemment retraité, passait tout l’hiver à Aubord, maintenant proche banlieue de Nîmes et l’un des fiefs, plus d’un siècle auparavant, de la … barbarine !

Avec cette adoption, les andorrans ont certainement sauvé la rouge, celle que nous connaissons ; mais au passage, en l’amenant sur les anciennes terres de la barbarine, ils ont contribué à la confusion entre les deux types originels.

 

C’est en tous cas là où certains d’entre eux se sont sédentarisés – et notamment dans le Minervois, le Pardailhan – que l’on pouvait retrouver il y a une quinzaine d’années des troupeaux certes métissés, mais où le phénotype rouge dominait. Les Sanz, Castillo et Nuñez ont d’ailleurs commencé avec des brebis de couleur blanche dans les années 70, et fait la démarche de récupérer des béliers rouges auprès de collègues transhumants : lors de notre premier passage en 93, leurs troupeaux étaient assez largement infusés …

Peut-être, outre les Lacaune locales, ont-ils récupéré des descendantes de lointains cousins barbarins ? Cela dit, nous n’avons pas trouvé de queues grasses dans nos premières explorations ; et n’en voyons toujours pas revenir …

 

Les Mérinos de Perpignan

Photo: L. Michot
Photo: L. Michot

Un peu plus tard, la bergerie impériale de Perpignan – située principalement à Saint Laurent de la Salanque, au mas de la Tourre – recevra, fin 1800, et conservera une bonne partie du troupeau constitué par Gilbert avant sa mort en Espagne. Elle abritera un troupeau de 600 têtes « dont 15% mouraient annuellement du sang de rate » (Dupont, idem), et diffusera des reproducteurs mérinos reconnus jusqu’en 1835.

 

Grognier et Magne (1841, 1857), reprenant globalement Carlier, évoquent les anciens moutons de la salanque « dont les toisons surpassaient en finesse celles de l’Aragon et de l’Andalousie » ; ceux des Aspres, du Vallespir, aux toisons souvent brunes ou grises ; « enfin celles du Capsir et du Conflans, en général blanches, mais à tête et pattes rousses » : c’est la seule mention de rousseur pour toute la période. Mais de toute façon, « à ces anciennes races ont succédé graduellement, depuis la fin du siècle dernier (le 18°, donc), des mérinos et des métis mérinos ».

Ce type métis mérinos, jugé moins fragile que la race pure, l’emporte donc largement dans toute la partie basse : « les laines si estimées dans le commerce sous le nom de roussillonnaises proviennent de ces croisements souvent renouvelés »(idem). Il subsistera quasiment jusqu’à la moitié du 20° siècle sous la dénomination de Corbières : au concours régional de Perpignan, en juillet 1914, « en fait de bétail, n’avait été admise à concourir que la race ovine des Corbières, et encore était-elle pauvrement représentée » (La vie agricole, n° 36).

 

L’expert lainier Dupont (1926, idem) jette un regard désabusé sur les populations mérinisées de la plaine : « c’est en somme une variété mérinos médiocre, la moins bonne de France. Le suint est abondant, le sable également. Les rendements en lavé à fond descendent parfois à 24%. La toison qui n’est pas liée a peu de volume et pèse de 2 kilos 500 à 3 kilos en suint. Elle contient des déchets provenant de la tête et de l’extrémité des cuisses. La pissotte du mouton, fort brûlée, fournit une matière de mince valeur ».

Les populations de la montagne, quant à elles, « appartiennent à la race même des Pyrénées, au poil long et grossier … (leur) laine commune se vend aux négociants de Saint Affrique, dans l’Aveyron, pour être mélangée à des laines plus souples pour drap de troupe ». Seule, pour lui, la Cerdagne se démarque : « les mérinos à toison épaisse et soyeuse de la commune d’Eyne sont réputés pour leur finesse. Ils obtiennent les grands prix du mérinos d’Arles ». Ce sont de grands troupeaux de 300 à 400 têtes, qui descendent hiverner en Roussillon et Catalogne.

 

Lors du Congrès du Mouton de 1929, Girard englobe les populations « Corbières, Roussillonnaise et Cerdagnole » sous le terme de Mérinos : il les distingue nettement de la grande race des « Pyrénées Centrales » dont il décrit longuement les rameaux « ariégeois » (futur Tarasconnais) et Castillonnais, ce dernier déjà à extrémités rousses.

Mouton Oranais ?

Photo: H. Germain
Photo: H. Germain

Toujours lors de ce Congrès, Jarry réalise un inventaire exhaustif des importations d’animaux depuis les Colonies, et notamment des pays du Maghreb. Ces moutons « africains » représentent ainsi 40% des abattages annuels sur Nice, un tiers à Marseille, près de la moitié sur Nîmes et Montpellier … jusqu’à 90% à Aix (précisons tout de même qu’il s’agit des abattages contrôlés !). Mais, sur Perpignan, moins de 1% ; Et, à propos de Port-Vendres : « aucun africain ne vient dans ce port ».

 

Et voilà que, dans les années trente, apparaît une population littorale de couleur rouge, qui se cantonne à la salanque et au vignoble proche. Or, celle-ci n’a pas de queue grasse, et les bergers n’emploient pas forcément le mot de « barbarine ». Que s’est-il passé ?

 

Il faut reconnaître que les écrits n’abondent pas : aucune association de race, ni concours ni comice. Quittet ne mentionne cette « rouge du Roussillon » que dans sa deuxième édition (1965), comme déjà proche de la disparition, et précise bien que le terme de barbarine est là-bas inconnu des vieux bergers …

 

Le meilleur indice, en attendant mieux, vient peut-être d’une thèse vétérinaire de1938. Son auteur, Pardineille, signale qu’en 1936, pour la première fois, des troupeaux algériens sont débarqués à Port-Vendres : c’est important car, jusque là, Marseille était semble-t-il le seul port agréé pour les ovins d’Afrique du Nord. Il note que « de nombreuses brebis d’origine africaine importées par Port-Vendres viennent grossir les rangs du troupeau français ». Ces mouvements reprendront d’ailleurs probablement dans l’après-guerre.

Or, Port-Vendres ne reçoit pas d’ovins de la lointaine Tunisie, mais ce que l’on dénomme alors le « mouton oranais » . Or, sous ce nom générique, il peut s’agir (entre autres) d’animaux de couleur rousse, issus de la population dénommée « Hamra » du côté algérien, et « Béni-Ighil » sur le versant marocain de la frontière.

 

Ces races là n’ont jamais eu la queue grasse ; leur couleur est d’un rouge plus prononcé que celui du barbarin de Tunisie ; leur modèle est plus réduit, plus lainé aussi, et un fanon rappelle un peu celui des mérinos . On retrouvera ces caractéristiques chez nos rouges actuelles, à la notable exception des très belles cornes des béliers : dans la version française, ces derniers ont été « désarmés » - encore que quelques bourgeons puissent réapparaître chez certains.

 

Cela dit, la carrière catalane de ces nouveaux « africains » sera relativement brève : dès l’après guerre, l’élevage de la région littorale fond comme neige au soleil. Les campagnes de démoustication semblent avoir décimé quelques troupeaux : peut-être un prétexte à l’abandon dans certains cas ? Lorsqu’en 1981, M Marty, de Saint Hippolyte, vend son troupeau, celui-ci est considéré comme le dernier authentiquement rouge du Roussillon. Sachant que des brebis de type rouge, on en trouve encore quelques unes dans toutes les bergeries …

Les Andorrans

Photo: H. Germain
Photo: H. Germain

Heureusement, il y a la transhumance andorrane. On l’ignore souvent, mais depuis longtemps des bergers andorrans pratiquent la transhumance inverse vers le Languedoc viticole : pâturage hivernal contre fumier et autres deals plus ou moins confidentiels. Au cours des années trente, leur nombre augmente sensiblement – de 8 000 à 18 000 brebis … officiellement – pour la satisfaction des viticulteurs, et au grand dam des éleveurs locaux : les nouveaux arrivants offrent probablement des conditions plus avantageuses. Les photographies de cette époque montrent des brebis blanches et plutôt jarreuses, avec parfois quelques têtes mouchetées évoquant un peu la race Ripollese ...

 

Or, dans un passé proche, les « derniers » transhumants andorrans (peu sont encore en activité) avaient largement adopté la brebis rouge ; celle-ci était parfois baptisée « brebis des vignes ». Ces troupeaux s’infiltrent dans les Corbières, le narbonnais, le biterrois et même au-delà : Pierre Calvo, récemment retraité, passait tout l’hiver à Aubord, maintenant proche banlieue de Nîmes et l’un des fiefs, plus d’un siècle auparavant, de la … barbarine !

Avec cette adoption, les andorrans ont certainement sauvé la rouge, celle que nous connaissons ; mais au passage, en l’amenant sur les anciennes terres de la barbarine, ils ont contribué à la confusion entre les deux types originels.

 

C’est en tous cas là où certains d’entre eux se sont sédentarisés – et notamment dans le Minervois, le Pardailhan – que l’on pouvait retrouver il y a une quinzaine d’années des troupeaux certes métissés, mais où le phénotype rouge dominait. Les Sanz, Castillo et Nuñez ont d’ailleurs commencé avec des brebis de couleur blanche dans les années 70, et fait la démarche de récupérer des béliers rouges auprès de collègues transhumants : lors de notre premier passage en 93, leurs troupeaux étaient assez largement infusés …

Peut-être, outre les Lacaune locales, ont-ils récupéré des descendantes de lointains cousins barbarins ? Cela dit, nous n’avons pas trouvé de queues grasses dans nos premières explorations ; et n’en voyons toujours pas revenir …